Dans un récent article de blog, notre caricature de révolutionnaire préféré, Jean-Luc Mélenchon, se plaint d'être victime d'un complot "d'ethnicistes" composés évidemment de gens d'extrême-droite, mais aussi de "progressistes" (nous?) et de "quelques amis trop rapides dans leurs analyses". La raison: Monsieur Mélenchon a voté contre un rapport présenté par notre député européen de Régions et Peuples solidaires, François Alfonsi, traitant des langues en danger. Un rapport qui a recueilli un accueil très favorable... sauf chez les français. Pour mener un duel honnête, je reproduis ci-dessous l'explication de vote de M. Mélenchon:
"Ce rapport préconise la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires du conseil de l’Europe. D’inspiration clairement ethniciste, cette Charte a été reconnue contraire aux principes fondamentaux de la République Française et particulièrement à la laïcité par le Conseil constitution nel. Elle prévoit en effet de donner aux groupes parlant telle ou telle langue régionale des droits particuliers dans l’espace public, en particulier dans le fonctionnement des services publics ou de la justice. Cela rompt l’égalité des citoyens et compromet le libre exercice de la citoyenneté. Si ce système peut en effet convenir aux minorités nationales en Europe, il constitue un détournement de l’attachement aux langues et patois régionaux dans une République une et indivisible comme la France. Une telle référence est inacceptable : revendiquer des droits particuliers à une catégorie de la population au nom des différences, est une atteinte à l’égalité républicaine. C’est pourquoi je vote contre."
Bref, nous n'avons pas manqué de lui tomber sur le râble! Aucune "manipulation" de notre part, simplement un désaccord de fond. A partir de cette explication de vote, mais aussi de sa réaction à nos critiques (lire son blog donc), voici un petit décryptage du jeu politique entre nos deux "courants" de pensée (à ce sujet). "Jamais aucun d e mes détracteurs ne s’est donné le mal de répondre sur le fond de mes arguments" dit Jean-Luc Mélenchon. Outre le fait qu'il ne s'est jamais donné le mal de lire nos réponses, je relève donc le défi.
Dans un incroyable jeu d'équilibriste, M. Mélenchon essaye de faire comprendre à ses lecteurs qu'il n'est pas contre les langues régionales (que nenni!), mais contre "la Charte européenne des langues minoritaires". Commençons soft notre argumentation en démontant la première remarque: il ne peut pas être contre le bilinguisme puisqu'il l'est lui-même. Dans un autre registre, ça donne: je ne suis pas raciste, j'ai moi-même un ami noir! Manuel Valls aussi est bilingue, ça ne l'empêche pas d'être contre un statut officiel pour sa propre langue maternelle en France. CQFD, argument non recevable. On connait ici en Bretagne de nombreux brittophones qui travaillent à enterrer la langue bretonne.
Deuxième point. Si M. Mélenchon avait bien lu cette fameuse "Charte" (elle est lisible sans aucune difficulté sur le site du Conseil de l'Europe pour ceux que ça intéresse), il saurait (mais je pense qu'il le sait parfaitement) justement que "ratifier la Charte" ne remettrait aucunement en cause "l'unité de la France" puisque justement, la France a pris grand soin de ne pas signer les articles qui donnent des droits collectifs à ces langues! (Lire à ce sujet le Peuple breton de septembre 2013). Or, l'Etat ne peut ratifier que ce qu'il a signé! Que M. Mélenchon soit contre le reste de la Charte et donc en accord avec l'argumentation de la France, admettons. En l'occurence, il répond à côté de la plaque puisque la France ne peut pas ratifier des articles sur lesquels elle ne s'est pas engagée. Logique. Comme on ne signe pas "la Charte" dans son ensemble, mais par morceaux ch oisis, l'argumentation de M. Mélenchon tombe encore à plat. En gros: la France prend une double précaution en ne signant que les articles qui empêchent les langues régionales de renaître vraiment et en ne ratifiant même pas ce minimum. Belle performance!
Jean-Luc Mélenchon dit "Le problème que me posent ces articles n’a rien à voir avec la diffusion des langues régionales. Il concerne la nature républicaine des institutions que cette charte entend abroger. En effet, son contenu comme ses origines contredisent plusieurs principes républicains, à commencer par le plus essentiel : le principe d’égalité des citoyens devant la loi et les services publics". Là, on touche le fond du sujet. Et là, nous avons un réel désaccord qui est politique.
M. Mélenchon estime peut-être que la situation actuelle de la République satisfait l'exigence d'égalité des citoyens devant la loi et les services publics. Donc, on admettra aisément qu'une personne âgé dans la Kreiz-Breizh se plaigne de voir disparaître des bureaux de Poste et que la France entière paye le RER parisien! On admettra aussi qu'il n'y a absolument aucun statut particulier dans le rôle à venir très rapidement de Lyon, ni du Grand Paris. Egalité devant la loi et les services publics quand 80% des budgets de la Culture vont à Paris et que l'avenir de France 3 est menacé (c'est très sérieux) car on refuse de faire des décrochages régionaux... on préfère donc sacrifier France 3, la chaîne des régions au bénéfice d'une chaîne nationale, France 2. Tout le monde pareil.
Mais admettons que la péréquation soit une réalité en France (ce que n'importe quel pékin qui a étudié un peu la répartition des budgets infirmeraient). Admettons donc. En quoi donner une existence légale à des langues minoritaires remettraient en cause un principe républicain? La République fédérale allemande, par exemple, donne des droits à ses langues. La République Italienne aussi (même si elle n'a pas ratifié la Charte, nous le verrons plus tard). Et même des monarchies tiens! Pourquoi donc M. Mélenchon pense ceci? Parce qu'il est nationaliste.
Pour lui, ce n'est pas la "République", mais la "République française" (exception culturelle mon neveu!). Et il nous qualifie d'ethnicistes! Et la poutre dans votre oeil, c'est un ethnicisme? Fini les complots de sécessionnistes, fini le mythe d'anti-républicains grimés en doux agneaux... Vouloir un statut pour les langues minoritaires n'est pas être anti-France, ni anti-français.
Donner un statut, ça veut dire quoi concrètement. ça veut dire mener ou laisser mener une politique de développement des langues (pas un vulgaire article disant que les langues de France sont un "patrimoine"). Le breton n'a pas sa place au Musée Grévin! Or, développer n'est pas protéger. Protéger, c'est muséifier. Développer, ça veut dire que la langue est vivante.
Voilà où le bat blesse. La République française et d'ailleurs la "nation" France (le mot est jeté) s'est construite autour du français. Autour de son centre. "Une et indivisible". Si d'autres langues vivantes existent en France, cela veut dire qu'on peut diviser la France en morceaux correspondant à des cultures différentes et ça, c'est inacceptable pour M. Mélenchon. Tant que ça reste folklorique, pas de problème! Mais ester en justice? Houlà... Parler breton avec un employé de la Poste? Jésus Marie Joseph!
Et pour les gens comme Mélenchon, tout ça est une affaire de "laïcité"! On se demande bien ce que vient foutre la laïcité là-dedans (autrement dit le rapport entre la reconnaissance de langues minoritaires et le principe de séparation de l'Eglise et de l'Etat)? Mais si en fait! Puisque, comme pour la religion, M. Mélenchon souhaiterait que le breton soit du domaine privé. Le breton d'accord, mais à la maison! Le breton serait donc une sorte de catholicisme! Hey, faut se réveiller un peu! Je suis parfaitement laïc, mais une langue que l'on parle uniquement chez soi, est-ce une vraie langue? Komz a ran brezhoneg e pep lec'h.
Mais donc, c'est moi et mes compagnons qui auraient une vision "ethniciste de la diversité culturelle"? Etant contre le jacobinisme, je suis forcément un "réactionnaire" (qui n'est pas gentil est méchant, c'est bien connu!)?
Jean-Luc Mélenchon dit: "la République protège les langues régionales". FAUX. Prétendre que la loi Deixonne est "un cadre législatif très favorable aux langues régionales", c'est de l'enfumage! Aujourd'hui, dans la Constitution, la seule langue officielle est le français. Ce faisant, Diwan (ou tout autre pédagogie immersive) ne peut pas être intégré au service public, les ouvertures de classes se font au forcing des parents d'élèves alors que toutes les conditions sont garanties (exemple de l'école de Plouézec cette année). La signalisation routière? Elle se fait également sous la pression: Stourm ar brezhoneg il y a plus de dix ans puis aujourd'hui Ai'ta! Rien n'est acquis en France. Il faut se battre constamment pour avoir des droits élémentaires sous prétexte que certains trouvent ça bizarres!
Je cite toujours le leader de la révolution en carton: "Un argument souvent asséné est que la France serait l’un des «rares» pays européens à ne pas avoir ratifié la Charte. Pourquoi ce mensonge ? Cette Charte est très loin de faire l’unanimité dans notre continent. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides". C'est exact (voir carte), mais ce qu'oublie de nous dire M. Mélenchon, c'est que le flamand, l'allemand et le français sont des langues officielles en Belgique, que le gaélique est une langue reconnue (et officielle) en Irlande. Je passe sur la Grèce qui ne serait pas liberticide... je la ressortirai celle-là quand il parlera des révoltes du peuple grec face à l'austérité! Bref, d'autres que nous sont à blâmer, mais nous ne sommes pas chez ces "autres" et ce n'est pas parce qu'on trouve plus con que nous qu'il faut continuer de l'être. Qui plus est, la reconnaissance dont dispose les langues dans ces pays est bien plus forte qu'en France!
Concernant les langues de migrants, comment pourraient-elles êtres officielles puisqu'ils sont migrants? (< on parie qu'il utilisera cette phrase sans citer la suite?). Je ne demande pas que le breton soit officiel au Canada sous prétexte qu'il y a eu des bretons (par milliers) exilés là-bas. Par contre, oui, je suis favorable à ce que ces personnes puissent s'exprimer dans leur langue, y compris dans les administrations si elles le peuvent (encore faut-il trouver des gens compétents pour parler ces langues). Et vous M. Mélenchon? Vous y êtes favorables? Ne nous opposez pas aux migrants, M. Mélenchon. Nous suivons et sommes associés (je parle de Régions et Peuples solidaires) au congrès mondial Amazigh dont les membres présents en France soutiennent nos revendications. Si la langue française est officielle dans "13 pays dans le monde", c'est d'abord parce que la France était un Etat colonial. Bravo la comparaison!
Nationaliste vous êtes M. Mélenchon! Comme l'Etat chinois peut l'être vis-à-vis du Tibet (et je ne vous parler pas des moines), comme certains arabes vis-à-vis de la Kabylie, comme l'Etat Turc vis-à-vis du Kurdistan... Moi, je ne défends pas ceux qui prétendent étendre leur domination par la force (militaire ou politique).
"Je voudrais enfin souligner qu’il ne saurait être question d’ignorer l’origine de cette charte. Dans le contexte du néo libéralisme triomphant, la différence des droits est un élément essentiel de la guerre de chacun contre tous. Donner des droits et des exclusivités à certains du fait de leur pratique d’une langue est un habile moyen d’instaurer ce droit à géométrie variable et cet empire des lois « locales » dont rêvent les libéraux". En attendant, ceux qui fabriquent les baronnies, ce sont les jacobins qui s'appuient sur les villes (métropolisation) pour éviter de repenser le système institutionnel, républicain, sous forme fédérale. Pour éviter de donner aux régions, on donne aux villes. Si ça, ce n'est pas du libéralisme! Moi, je pense que la loi française ne permet pas de résoudre tous les problèmes car elle est trop éloignée des territoires. Je prétends donc effectivement qu'il peut y avoir, localement (régionalement donc) et sur des compétences précises, des adaptations du droit de façon à être efficace (mais, lisez donc le Peuple breton de septembre, aucun autonomiste n'a parlé d'adapter le code du travail).
En France, quand on a fait la loi, le problème est résolu! Je décrète la disparition du chômage! ça y est, réglé!
"Il n’y a pas de peuple minoritaire en France". De but en blanc. Cash! Monsieur Mélenchon a dit. Donc, c'est vrai! Et moi, j'affirme que j'appartiens au peuple breton, que je vis en France sans aucun soucis, mais que j'appartiens au peuple breton, je me reconnais breton, sans haine, ni rejet de l'autre. "Car le peuple, en République, n’est décrit que par un seul critère : la citoyenneté et l’unité de la communauté légale qui en résulte" continue-t-il. Est-ce bien le mec qui préside un parti dont le slogan principal est "le pouvoir du peuple" qui dit ça? Dans ce domaine en tout cas, vous prouvez une nouvelle fois que le peuple est là pour l'Etat / la République et non l'inverse.
Je passe sur la FUEV qui serait issu de mouvement d'extrême-droite, sur Roparz Hemon qui serait un collabo (coucou, j'ai 29 ans et je me demande le rapport entre le fait que je parle breton aujourd'hui et la collaboration). ça ne vaut pas tripette! C'est un peu comme si je reprochais à M. Mélenchon d'être français car Napoléon a tué des millions de gens et qu'être républicain est débile parce que la Première République a abouti à un bain de sang!
Je déduis donc de ce grand numéro d'équilibriste que contre la mondialisation impérialiste, choisissons donc l'universalisme français impérialiste! Pour Le Pen, ça donne: contre la mondialisation impérialiste, choisissons le recroquevillement chauvin. Mon pauvre Jean-Luc, ta révolution, c'est une vraie farce. Je préfère mille f ois les anarchistes et leur idéal d'auto-gestion que ton nationalisme dégoulinant.